Francis CABREL
"Quelqu'un de l'intérieur"

1-Question d'équilibre
2-La fille qui m'accompagne
3-Le temps s'en allait
4-Edition spécial
5-Said et Mohamed
6-L'enfant qui dort
7-Laila et les chasseurs
8-Dame d'un soir
9-Quelqu'un de l'intérieur
10-Les chevaliers cathares

 


1-Question d'équilibre

Je suis tout seul ce soir

J'ai les pieds en bas dans la poussière

La tête là-haut dans le brouillard

Dans tous les couloirs

J'ai cru revoir les courbes de ton corps

Dans toutes les salles des aérogares

Dans toutes les cales des navires du port

J'ai besoin de toi pour vivre

C'est une question d'équilibre

Quand t'es partie ça m'a coupé les ailes

Depuis le plancher m'appelle

Le plancher m'appelle

Le plancher m'appelle

Faut pas m'en vouloir

J'suis pas en état de te revoir

J'ai laissé toutes les larmes de mon corps

Couler dans le ruisseau en bas du trottoir

Et tous les autres m'agacent

Ceux qui parlent haut, ceux qui parlent fort

Je ne vois que toi dans les grandes glaces

Entre les bouteilles de "Southern Comfort"

J'ai besoin de toi pour vivre

C'est une question d'équilibre

Quand t'es partie ça m'a coupé les ailes

Depuis le plancher m'appelle

Le plancher m'appelle

Le plancher m'appelle

Encore un verre

Après je me couche par terre

Je veux dormir en essayant de croire

Que c'est encore un de tes retards

Mais tous les autres m'agacent

Ceux qui parlent haut, ceux qui parlent fort

Je ne vois que toi dans les grandes glaces

Entre les bouteilles de "Southern Comfort"

J'ai besoin de toi pour vivre

C'est une question d'équilibre

Quand t'es partie ça m'a coupé les ailes

Et depuis le plancher m'appelle

Le plancher m'appelle

Le plancher m'appelle
9-La fille qui m'accompagne

Elle parle comme l'eau des fontaines

Comme les matins sur la montagne

Elle a les yeux presque aussi clairs

Que les murs blancs du fond de l'Espagne

Le bleu nuit de ses rêves m'attire

Même si elle connaît les mots qui déchirent

J'ai promis de ne jamais mentir

À la fille qui m'accompagne

Au fond de ses jeux de miroirs

Elle a emprisonné mon image

Et même quand je suis loin le soir

Elle pose ses mains sur mon visage

J'ai brûlé tous mes vieux souvenirs

Depuis qu'elle a mon coeur en point de mire

Et je garde mes nouvelles images

Pour la fille avec qui je voyage

On s'est juré les mots des enfants modèles

On se tiendra toujours loin des tourbillons géants

Elle prendra jamais mon coeur pour un hôtel

Je dirai les mots qu'elle attend

Elle sait les îles auxquelles je pense

Et l'autre moitié de mes secrets

Je sais qu'une autre nuit s'avance

Lorsque j'entends glisser ses colliers

Un jour je bâtirai un empire

Avec tous nos instants de plaisirs

Pour que plus jamais rien ne m'éloigne

De la fille qui m'accompagne

On s'est juré les mots des enfants modèles

On se tiendra toujours loin des tourbillons géants

Je prendrai jamais son coeur pour un hôtel

Elle dira les mots que j'attends

Elle sait les îles auxquelles je pense

Et l'autre moitié de mes délires

Elle sait déjà qu'entre elle et moi

Plus y'a d'espace et moins je respire
3- Le temps s'en allait

Ce matin j'ai joué aux billes

J'ai couru les filles

Et j'ai pris tout mon temps

J'ai accroché mon cœur

Aux épines des fleurs

Et j'ai gagné souvent

Ce soir, je pousse de ma canne

Les feuilles des platanes

Sous les bancs de ciment

Dans les odeurs de cigare

Et le bruit des guitares

De mes petits enfants

Je courais, je courais, je courais, je courais

Et le temps s'en allait

Je courais, je courais, je courais...

Et tout le temps que je passe

Assis à la même place

Juste à bouger les yeux

Avec mes vieilles rengaines

Et mon écharpe de laine

Même quand le ciel est tout bleu

Toujours la voix qui s'embrume

La crainte du rhume

Ou le bruit des avions

Et dans le froid qui s'approche

J'ai peur que les cloches

Chantent bientôt mon prénom

Je courais, je courais, je courais, je courais

Et le temps s'en allait

Je courais, je courais, je courais...

Toi, mon enfant que j'aime,

Toi qui a tant de peine

Assieds toi un moment

Quels que soient ceux qui te quittent

Dis-toi que le temps passe vite

Et que la poussière t'attend

Tu vois ces bras de misère

Ont fait le tour de la terre

Pour une fille de chez nous

Ils ont fait sauter les tables

Et des plages de sable

Et des hordes de loups

On était tellement bien

On était tellement loin

Qu'on était presque perdus

On était tellement haut

Et tellement beaux

Qu'on ne se reconnaît plus

On courait, on courait, on courait, on courait

Et le temps s'en allait...

On courait, on courait, on courait...

Ce matin j'ai joué aux bille,

J'ai couru les filles

Et j'ai pris tout mon temps

J'ai accroché mon cœur

Aux épines des fleurs

Et j'ai gagné souvent

Ce soir, j'ai plus de problèmes

Tout le monde m'aime

Mais c'est pas pareil qu'avant...

Parce qu'il y a le bout de ma canne

Les feuilles des platanes

Et c'est l'automne tout le temps

Parce qu'il y a le bout de ma canne

Les feuilles des platanes

Et c'est l'automne tout le temps

Toi mon enfant que j'aime...
4- Edition spéciale

D'abord y a cette fille

Dans la boîte de verre

Qui dit "Bonne nuit, à demain"

Sur un bout de musique

Des bonshommes à l'envers

Et puis après plus rien

J'étais là à huit heures

Pour les mauvaises nouvelles

Elle m'a laissé tout seul

Avec mes envies d'elle

Derrière son visage

Un paysage de neige

Et puis après plus rien

Après je prends mon pote

Sur la radio locale

Au milieu d'un discours

C'est le temps qu'il espère

Au-dessus de son bocal

S'il arrive à faire jour

Parce qu'il paraît qu'y a le feu

À la moitié de la Terre

Et qu'on attend du mieux

Juste pour les sagittaires

Après un dernier verre

Le souffle des étoiles

Et puis après plus rien

Et puis après plus rien

Et puis après Edition Spéciale, Edition Spéciale

En couleur naturelle

Mes envies d'elle

Et puis après Edition Spéciale, Edition Spéciale

En grandeur nature

Ses yeux sur le mur

Et puis après je cherche

Quelqu'un que je connais

Qui soit encore debout

Faut pas que je me leurre

À l'heure qu'il est

On doit pas être beaucoup

J'ai du mal à dormir

À côté de personne

Et le silence m'attend

Je l'entends qui résonne

"Allez, salut bonsoir !"

Le bruit quand je raccroche

Et puis après plus rien

Et puis après plus rien

Et puis après Edition Spéciale, Edition Spéciale

En grandeur nature

Ses yeux sur le mur

Et puis après Edition Spéciale, Edition Spéciale

En couleur naturelle

Mes envies d'elle

Quand je me lève

La fille dans la boîte de verre

A déjà dit bonjour

Mon pote est reparti

Sur une autre colère

Dans un autre discours

Mais la nuit arrive vite

À ceux qui ont peur d'elle

Y a des choses qu'on évite

Pas facile avec elle

Après-midi tranquille

Après-midi banal

Et puis après...

Et puis après...

Et puis après...

Edition Spéciale, Edition Spéciale
5- Saïd et Mohamed

Elle changeait les draps de l'hôtel

Les traces de doigts sur les poubelles

Petite hirondelle, au milieu des corbeaux

Elle chantait "Desperado"

Moi, j'avais du retard sur le sommeil

Je m'étais fait doubler par le soleil

Elle de l'autre côté du couloir

Elle faisait chanter les miroirs

J'ai passé une heure de sa vie

Une heure sous le soleil d'Algérie

Sous la course des planètes

Y a des moments qu'on regrette

Derrière ses paupières mi-closes

Je voyais plus de gris que de rose

Quand je suis parti, j'ai bien compris

Que je perdais quelque chose

Ces enfants qui font rien à l'école

Et qui ont les poches pleines de tubes de colle

De toute façon personne ne t'aide

Quand tu t'appelles Saïd ou Mohamed

C'est le ciel en tôle ondulée pour toujours

C'est la fenêtre sur la troisième cour

C'est le cri des voisines plein les oreilles

Et les heures de mauvais sommeil

Mais s'il y a quelqu'un autour qui comprend

Le mauvais français, le musulman,

Sous la course des planètes

Ma serait bien qu'il s'inquiète

Avant que ses paupières n'explosent

Et qu'elles prennent ce gris en overdose

Quand je suis parti j'ai bien compris

Qu'on y pouvait quelque chose...

Toi t'envoies dix francs

Pour les enfants du Gange

Parce que t'as vu les photos qui dérangent.

T'envoies dix francs

Pour les enfants d'ailleurs

Parce que t'as vu les photos qui font peur

Et elle que tu croises en bas de chez toi

Elle que tu croises en bas de chez toi...

Depuis je suis retourné à Marseille

Ses amis n'ont pas de nouvelles

Y a trop d'hirondelles

Ou trop de corbeaux

Elle a du changer de ghetto

Moi, je crois plutôt qu'elle

Change les draps d'un autre hôtel

D'autres traces de doigts

Sur d'autres poubelles

De l'autre côté d'un autre couloir

Elle doit faire chanter les miroirs

Chanter les miroirs, chanter les miroirs, chanter les miroirs
6- L'enfant qui dort

Laissez rêver l'enfant qui dort

Aux fumées bleues des châteaux forts

Laissez-lui démonter le ciel

Dehors c'est toujours pareil... c'est toujours pareil

Le coin des rues comme des frontières

Et toujours penser à se taire

La ville encerclée sous le gel

Depuis c'est toujours pareil

Le temps malmène

Ces hommes qui traînent

Le poids de leur corps

Leurs phrases vides

Leurs larmes sèches

Leurs années d'efforts

Les rues immenses

Où le givre s'avance

Et la patrouille dehors

C'est à peine si les pavés résonnent

Sous le pas lourd des moitiés d'homme

Les mains fermées sur leur colère

Les yeux comme privés de lumière

Peut-être un jour si Dieu s'en mêle

La pluie remontera au ciel

Vers nos immobiles remords

Mais c'est toujours pareil dehors

Le temps malmène

Ces hommes qui traînent

Le poids de leur corps

Leurs phrases vides

Leurs larmes sèches

Leurs années d'efforts

Les rues immenses

Où le givre s'avance

Et la patrouille dehors

Et s'il veut vivre ici longtemps

Surtout laissez rêver l'enfant...
7- Leïla et les chasseurs

Leïla, si tu savais les yeux qu'elle a

Quand elle voit s'approcher les chasseurs

Leïla, si tu savais les yeux qu'elle a

Quand elle voit s'approcher les chasseurs

Pas la peine de mentir

Leïla sait ce que veut dire

Ce feu sous les paupières blanches

Qui fixe le dessous de ses hanches

Des mots humides de pluie

Qui meurent aussitôt dits

Des corps tendus immobiles

Après les éclairs faciles

Leïla, elle les connaît trop

Faux nez et faux numéros

Même par terre même morts

Et quand même les plus forts

Les phrases pleines de détours

Qui craignent la lumière du jour

Ils cachent tous quelque chose

Ils chassent tous quelque chose

 

Leïla, si tu savais les yeux qu'elle a

Quand elle voit s'approcher les chasseurs

Leïla, si tu savais les yeux qu'elle a

Quand elle voit s'approcher les chasseurs

Y a ceux qui pleurent de joie

En ajoutant une croix

Ceux qui l'aiment à tout jamais

Qui ont un avion juste après

Ceux qui ont des barques sur la Seine

Trop loin pour que je t'y emmène

Ceux qui ont de l'or plein les châteaux

Ceux qui ont des ports pleins de bateaux

Ils parlent tellement fort

Ils sont tellement nombreux

Qu'un soir de fatigue elle s'endort

Contre la peau de l'un d'eux

Pour peu qu'il soit d'une autre sorte

Un peu moins menteur que les autres

Elle aura le gris du matin

Et les fleurs du papier peint

 

Leïla si tu savais les yeux qu'elle a

Quand elle voit s'approcher les chasseurs

Leïla, si tu savais les yeux qu'elle a

Quand elle voit s'approcher les chasseurs, les chasseurs

Leïla n'y peut pas grand chose

Si elle a la fraîcheur des roses

Elle est la cible de vos flèches

Mais c'est pas vous qu'elle cherche

Elle rêve d'un fragile, d'un fou

Qui l'embrasse au quinzième rendez-vous

Qui tremble en lui prenant la main

Et surtout qui ne dise rien

Leïla, elle les connaît trop

Faux nez et faux numéros

Même par terre même morts

Et quand même les plus forts

Ils cachent tous quelque chose

Ils chassent tous quelque chose
8- Dame d'un soir

Dame d'un soir

Je t'imagine sans effort

Dame d'un soir

Je te dessine

Quand je m'endors

Laisse faire la lumière

Laisse-toi soulever doucement

Ferme les yeux

Dehors il pleut, un peu

Tu dérives captive

Vers le soleil blanc d'un nouveau jour

Quelqu'un t'attend

Au bout de l'océan

Dame d'un soir

Je t'imagine sans effort

Dame d'un soir

Je te dessine

Quand je m'endors

Les sirènes te préviennent

Qu'un voilier s'approche de ton corps

Plein de rubans

Et de papillons blanc

Pour tes ailes d'enfant

Nos épaules se frôlent

Nos voiles se fondent au même feu

Nos corps se glissent

Jusqu'aux plages d'Atlantis

Les sirènes te préviennent

Qu'un voilier s'approche de ton corps

Plein de rubans

Et de papillons blancs

Pour ton ventre d'enfant

Le silence immense

Juste la musique de ton cœur

Personne autour

Que nos haleines d'amour

Aquarelle, nouvelle

Sur des fils de laine roses et blancs

Ferme les yeux

Dehors il pleut, dehors il pleut un peu, un peu
9- Quelqu'un de l'intérieur

J'avais besoin de chaleur

Personne autour pour l'amour

Le ventre des flippers

Et pour parler les boules d'acier

Et les zéros du compteur

T'étonnes pas si je suis

Quelqu'un de l'intérieur

Ils voulaient que je leur ressemble

Ces hommes qui chassent, qui violent

Qui calculent et qui vendent

Et qui voulaient que j'aille après

Confesser mes erreurs

T'étonnes pas si je suis

Quelqu'un de l'intérieur

J'ai supposé qu'on s'habitue

Et que ce serait ma vie

J'étais un peu mal au début

Mais je t'assure qu'aujourd'hui

J'en ris plus souvent que j'en pleure

Je suis quelqu'un de l'intérieur

Je les regarde qui dansent

Et qui parlent et qui parlent

Et qui disent plus que ce qu'ils pensent

Qui se séduisent à coup de phrases de rien du tout

Qui parlent tellement

Qu'ils trouvent que je parle pas beaucoup

Alors ils croient que je suis triste

Mais si je mettais mon cœur là juste

Au milieu de la piste

Ils verraient des couleurs

Ils savent même pas qu'elles existent

C'est pas le courage qui me manque

Qui m'empêche de sourire

Y a des moments tellement beaux

Y a que le silence pour le dire

J'en ris plus souvent que j'en pleure

Je suis quelqu'un de l'intérieur

Peut-être ils croient que je suis calme

Et que je compte les étoiles

Au milieu de leur vacarme

Mais si un jour je dévoile

Les secrets de mon âme...

C'est pas le courage qui me manque

Qui m'empêche de sourire

Y a des moments tellement beaux

Y a que le silence pour le dire

T'as pris toute la place dans mon cœur

Mais je suis quelqu'un de l'intérieur
10- Les chevaliers Cathares

Les chevaliers Cathares

Pleurent doucement

Au bord de l'autoroute

Quand le soir descend

Comme une dernière insulte

Comme un dernier tourment

Au milieu du tumulte

En robe de ciment

La fumée des voitures

Les cailloux des enfants

Les yeux sur les champs de torture

Et les poubelles devant

C'est quelqu'un du dessus de la Loire

Qui a du dessiner les plans

Il a oublié sur la robe

Les tâches de sang

On les a sculptés dans la pierre

Qui leur a cassé le corps

Le visage dans la poussière

De leur ancien trésor

Sur le grand panneau de lumière

Racontez aussi leurs morts

Les chevaliers Cathares

Y pensent encore

N'en déplaise à ceux qui décident

Du passé et du présent

Ils n'ont que sept siècles d'histoire

Ils sont toujours vivants

J'entends toujours le bruit des armes

Et je vois encore souvent

Des flammes qui lèchent des murs

Et des charniers géants

Les chevaliers Cathares

Pleurent doucement

Au bord de l'autoroute

Quand le soir descend

Comme une dernière insulte

Comme un dernier tourment

Au milieu du tumulte

En robe de ciment


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