Francis CABREL
"Un samedi soir sur la terre"

1-La corrida
2-Assis sur le rebord du monde
3-La cabane du pêcheur
4-Samedi soir sur la terre
5-Je t'aimais, je t'aime, je t'aimerai
6-Les vidanges du diable
7-L'arbre va tomber
8-Octobre
9-Le noceur
10-Tôt ou tard s'en aller

1-La corrida

Depuis le temps que je patiente

Dans cette chambre noire

J'entends qu'on s'amuse et qu'on chante

Au bout du couloir ;

Quelqu'un a touché le verrou

Et j'ai plongé vers le grand jour

J'ai vu les fanfares, les barrières

Et les gens autour

Dans les premiers moments j'ai cru

Qu'il fallait seulement se défendre

Mais cette place est sans issue

Je commence à comprendre

Ils ont refermé derrière moi

Ils ont eu peur que je recule

Je vais bien finir par l'avoir

Cette danseuse ridicule...

Est-ce que ce monde est sérieux ?

Est-ce que ce monde est sérieux ?

Andalousie je me souviens

Les prairies bordées de cactus

Je ne vais pas trembler devant

Ce pantin, ce minus !

Je vais l'attraper, lui et son chapeau

Les faire tourner comme un soleil

Ce soir la femme du torero

Dormira sur ses deux oreilles

Est-ce que ce monde est sérieux ?

Est-ce que ce monde est sérieux ?

J'en ai poursuivi des fantômes

Presque touché leurs ballerines

Ils ont frappé fort dans mon cou

Pour que je m'incline

Ils sortent d'où ces acrobates

Avec leurs costumes de papier ?

J'ai jamais appris à me battre

Contre des poupées

Sentir le sable sous ma tête

C'est fou comme ça peut faire du bien

J'ai prié pour que s'arrête

Andalousie je me souviens

Je les entends rire comme je râle

Je les vois danser comme je succombe

Je pensais pas qu'on puisse autant

S'amuser autour d'une tombe

Est-ce que ce monde est sérieux ?

Est-ce que ce monde est sérieux ?

Si, si hombre, hombre

Baila, baila

Hay que bailar de nuevo

Y mataremos otros

Otras vidas, otros toros

Y mataremos otros

Venga, venga a bailar...

Y mataremos otros


2-Assis sur le rebord du monde

Si j'ai bien toute ma mémoire

Disait Dieu dans un coin du ciel

J'avais commencé une histoire

Sur une planète nouvelle, toute bleue

Bleue, pour pas qu'on la confonde

Je vais aller m'asseoir sur le rebord du monde

Voir ce que les hommes en ont fait

J'y avais mis des gens de passage

Et j'avais mélangé les couleurs

Je leur avais appris le partage

Ils avaient répété par coeur

"Toujours" ! tous toujours dans la même ronde

Je vais aller m'asseoir sur le rebord du monde

Voir ce que les hommes en ont fait

Je me souviens d'avoir dit aux hommes

Pour chaque fille une colline de fleurs

Et puis j'ai planté des arbres à pommes

Où tout le monde a mordu de bon coeur

Et partout, partout des rivières profondes

Je vais aller m'asseoir sur le rebord du monde

Voir ce que les hommes en ont fait

Soudain toute la ville s'arrête

Il paraît que les fleuves ont grossi

Les enfants s'approchent, s'inquiètent

Et demandent "pourquoi tous ces bruits ?"

Sans doute, Dieu et sa barbe blonde

Dieu qui s'est assis sur le rebord du monde

Et qui pleure de le voir tel qu'il est !

Dieu qui s'est assis sur le rebord du monde

Et qui pleure de le voir tel qu'il est.


3-La cabane du pêcheur

Le soir tombait de tout son poids

Au dessus de la rivière

Je rangeais mes cannes

On ne voyait plus que du feu

Je l'ai vu s'approcher

La tête ailleurs dans ses prières

Il m'a semblé voir trop briller ses yeux

Je lui ai dit

Si tu pleures pour un garçon

Tu seras pas la dernière

Souvent, les poissons sont bien plus affectueux

Va faire un petit tour, respire le grand air !

Après, je te parlerai de l'amour

Si je me souviens un peu

Elle m'a dit

Elle a dit justement c'est ce que je voudrais savoir

Et j'ai dit viens t'asseoir dans la cabane du pêcheur

C'est un mauvais rêve, oublie-le !

Tes rêves sont toujours trop clairs ou trop noirs

Alors, viens faire toi-même le mélange des couleurs

Sur les murs de la cabane du pêcheur

Viens t'asseoir

Je lui ai dit

Le monde est pourtant pas si loin

On voit les lumières

Et la terre peut faire

Tous les bruits qu'elle veut

Y'a sûrement quelqu'un qui écoute

Là-haut dans l'univers

Peut-être tu demandes plus qu'il ne peut ?

Elle m'a dit

Elle a dit justement c'est ce que je voudrais savoir

Et j'ai dit viens t'asseoir dans la cabane du pêcheur

C'est un mauvais rêve, oublie-le !

Tes rêves sont toujours trop clairs ou trop noirs

Alors, viens faire toi-même le mélange des couleurs

Sur les murs de la cabane du pêcheur

Viens t'asseoir

Elle m'a dit

Elle a dit finalement, je brûle de tout savoir

Et j'ai dit viens t'asseoir dans la cabane du pêcheur

Y'a sûrement de la place pour deux !

Cette route ne mène nulle part

Alors... Viens faire toi-même le mélange des couleurs

Sur les murs de la cabane du pêcheur

On va comparer nos malheurs

Là, dans la cabane du pêcheur

Partager un peu de chaleur

Là, dans la cabane du pêcheur

Moi, j'attends que le monde soit meilleur

Là, dans la cabane du pêcheur


4-Samedi soir sur la terre

Il arrive, elle le voit, elle le veut

Et ses yeux font le reste

Elle s'arrange pour mettre du feu

Dans chacun de ses gestes

Après c'est une histoire classique

Quelque soit la fumée

Quelque soit la musique

Elle relève ses cheveux, elle espère qu'il devine

Dans ses yeux de figurine

Il s'installe, il regarde partout

Il prépare ses phrases

Comme elle s'est avancée un peu

D'un coup leurs regards se croisent

Après c'est une histoire normale

Le verre qu'elle accepte, et les sourires qu'il étale

En s'approchant un peu, il voit les ombres fines

Dans ses yeux de figurine

Pas la peine que je précise

D'où ils viennent et ce qu'ils se disent

C'est une histoire d'enfant

Une histoire ordinaire

On est tout simplement, simplement

Un samedi soir sur la terre

Un samedi soir sur la terre

Ils se parlent, ils se frôlent, ils savent bien

Qu'il va falloir qu'ils sortent

Ils sont obligés de se toucher

Tellement la musique est forte

Après, c'est juste une aventure

Qui commence sur le siège arrière d'une voiture

Il voit les ombres bleues

Que le désir dessine

À son front de figurine

Pas la peine que je précise

D'où ils viennent et ce qu'ils se disent

C'est une histoire d'enfant

Une histoire ordinaire

On est tout simplement, simplement

Un samedi soir sur la terre

Un samedi soir sur la terre

Pas la peine d'être plus précis

Cette histoire est déjà finie

On en ferait autant

Si c'était à refaire

On est tout simplement, simplement

Un samedi soir sur la terre

Un samedi soir sur la terre

Un samedi soir...


5-Je t'aimais, je t'aime, je t'aimerai

Mon enfant nue sur les galets

Le vent dans tes cheveux défaits

Comme un printemps sur mon trajet

Un diamant tombé d'un coffret

Seule la lumière pourrait

Défaire nos repères secrets

Où mes doigts pris sur tes poignets

Je t'aimais, je t'aime et je t'aimerai

Et quoique tu fasses

L'amour est partout où tu regardes

Dans les moindres recoins de l'espace

Dans le moindre rêves où tu t'attardes

L'amour comme s'il en pleuvait

Nu sur les galets

Le ciel prétend qu'il te connaît

Il est si beau c'est sûrement vrai

Lui qui ne s'approche jamais

Je l'ai vu pris dans tes filets

Le monde a tellement de regrets

Tellement de choses qu'on promet

Une seule pour laquelle je suis fait

Je t'aimais, je t'aime et je t'aimerai

Et quoique tu fasses

L'amour est partout où tu regardes

Dans les moindres recoins de l'espace

Dans le moindre rêves où tu t'attardes

L'amour comme s'il en pleuvait

Nu sur les galets

On s'envolera du même quai

Les yeux dans les mêmes reflets

Pour cette vie et celle d'après

Tu seras mon unique projet

Je m'en irai poser tes portraits

À tous les plafonds de tous les palais

Sur tous les murs que je trouverai

Et juste en dessous, j'écrirai

Que seule la lumière pourrait...

Et mes doigts pris sur tes poignets

Je t'aimais, je t'aime et je t'aimerai


6-Les vidanges du diable

J'ai rapproché les coussins

J'ai mis quelques fleurs autour

J'ai fabriqué un écrin

Avec du mauvais velours

Il me restait du parfum, du parfum

Quelques bougies de secours

On va se cacher dans un coin

Un linge sur l'abat-jour

T'es tout ce qu'il me reste, l'amour

Dehors c'est insupportable !

Emmène-moi ailleurs

Loin des vidanges du diable, ailleurs

En bas, y'a plein de gamins

Plein de ballons dans la cour

Ça crie du soir au matin

C'est presque à devenir sourd

Je vais la couvrir de dessins, de dessins

Cette cité sans retour

Le futur est tellement loin

Le présent tellement lourd

T'es tout ce qu'il me reste, l'amour

Dehors c'est insupportable !

Emmène-moi ailleurs

Loin des vidanges du diable, ailleurs

Ailleurs, j'aurai du travail, du labeur

Je redeviendrai fréquentable

Ailleurs, pour quelques jours, quelques heures

Leur montrer que j'en suis capable

J'ai rien à faire de mes mains

Rien à faire des discours

J'ai pas la chance de certains

J'ai tiré le mauvais parcours

Mais, j'ai rapproché les coussins, les coussins

Et j'ai mis quelques fleurs autour

On va se cacher dans un coin

Un linge sur l'abat-jour

T'es tout ce qu'il me reste, l'amour

Dehors c'est insupportable !

Emmène-moi ailleurs

Loin des vidanges du diable, ailleurs

Loin des vidanges du diable

Loin des vidanges du diable


7-L'arbre va tomber

L'arbre va tomber

Les branches salissaient les murs

Rien ne doit rester

Le monsieur veut garer sa voiture

Nous, on l'avait griffé

Juste pour mettre des flèches et des coeurs

Mais l'arbre va tomber

Le monde regarde ailleurs

L'arbre va tomber

Ça fera de la place au carrefour

L'homme est décidé

Et l'homme est le plus fort, toujours

C'est pas compliqué

Ça va pas lui prendre longtemps

Tout faire dégringoler

L'arbre avec les oiseaux dedans !

Y'avait pourtant tellement de gens

Qui s'y abritaient

Et tellement qui s'y abritent encore

Toujours sur nous penché

Quand les averses tombaient

Une vie d'arbre à coucher dehors

L'arbre va tomber

L'homme veut mesurer sa force

Et l'homme est décidé

La lame est déjà sur l'écorce

Y'avait pourtant tellement de gens

Qui s'y abritaient

Et tellement qui s'y abritent encore

Toujours sur nous penché

Quand les averses tombaient

Une vie d'arbre à coucher dehors

L'arbre va tomber

On se le partage déjà

Y'a rien à regretter

C'était juste un morceau de bois

Un bout de forêt

Avancé trop près des maisons

Et pendant qu'on parlait

L'arbre est tombé pour de bon !

Y'avait pourtant tellement de gens

Qui s'y abritaient

Et toutes ces nuits d'hiver

Quand les averses tombaient

T'as dû en voir passer

Des cortèges de paumés

Des orages, des météores

Et toutes ces nuits d'hiver

Quand les averses tombaient

Une vie d'arbre à coucher dehors

À perdre le nord

À coucher dehors... à coucher dehors


8-Octobre

Le vent fera craquer les branches

La brume viendra dans sa robe blanche

Y'aura des feuilles partout

Couchées sur les cailloux

Octobre tiendra sa revanche

Le soleil sortira à peine

Nos corps se cacheront sous des bouts de laine

Perdue dans tes foulards

Tu croiseras le soir

Octobre endormi aux fontaines

Il y aura certainement,

Sur les tables en fer blanc

Quelques vases vides et qui traînent

Et des nuages pris aux antennes

Je t'offrirai des fleurs

Et des nappes en couleurs

Pour ne pas qu'Octobre nous prenne

On ira tout en haut des collines

Regarder tout ce qu'Octobre illumine

Mes mains sur tes cheveux

Des écharpes pour deux

Devant le monde qui s'incline

Certainement appuyés sur des bancs

Il y aura quelques hommes qui se souviennent

Et des nuages pris aux antennes

Je t'offrirai des fleurs

Et des nappes en couleurs

Pour ne pas qu'Octobre nous prenne

Et sans doute on verra apparaître

Quelques dessins sur la buée des fenêtres

Vous, vous jouerez dehors

Comme les enfants du nord

Octobre restera peut-être.

Vous, vous jouerez dehors

Comme les enfants du nord

Octobre restera peut-être.


9-Le noceur

La voiture avançait

Dans la pénombre humide

L'homme avait choisi son quartier

Un carillon sonnait

Pour dire que la nuit se termine

Mais pour un fêtard

Il est trop tôt pour rentrer

La nuit a été chaude

En alcools, en farines légères

Ces gens-là ont tout ce qu'ils veulent

Mais lui, il s'était inventé

Un jeu supplémentaire

Surtout, surtout

Ne jamais rentrer seul

C'est pas un jeu précis

C'est plutôt son envie de plaire

Quelque chose comme passer du bon temps

C'est pour ça qu'il a choisi

Ce quartier ordinaire

Cette fin de nuit parmi les pauvres gens

Lui, c'est un noceur, un noceur, un noceur

Un dandy, un rouleur

La première fille qu'il croise

Il sait qu'il doit faire vite

Alors, il lui sourit pour ne pas qu'elle s'inquiète

Une sorte de jazz monte

Comme il baisse la vitre

Elle n'a même pas tourné la tête...

Il reste un bar ouvert

Où quelques soûlards se cramponnent

Et où la serveuse ne s'étonne de rien

Il laisse la voiture devant

Il est sûr que ça l'impressionne

Mais elle a répondu en retirant sa main

Elle a dit : no sir, no sir

La vie a fait de toi un dandy, un rouleur

T'avances comme au volant d'un cargo, d'un croiseur

J'aime pas comme tu claques des doigts

Elle a dit : no sir, no sir

T'es tombé du côté des nantis, des menteurs

Dans ta poitrine j'entends le battement d'un compteur

Faut pas que tu comptes sur moi

On n'a pas la vie facile

Hey, mais on a tout ce qu'il faut

On a rangé les évangiles

On fera plus de cadeau

On voit venir le jour

C'est comme la chance qui nous quitte

Il faut partir avant que tout ne se complique

Dans cette chasse à cour

Y'a quand même une limite

Celle de rentrer avant que ne s'éteigne l'éclairage public

Il revient vers chez lui

Le portail électrique

Et les allées de graviers entre les massifs de fleurs

Faire un peu de café

Mettre un peu de musique

Oublier ce que cette fille lui disait tout à l'heure...

Quand elle parlait d'un noceur... d'un noceur

Et puis elle a parlé de dandy, de rouleur

Et aussi de cargo, de croiseur

De gens qui claquent des doigts

Elle a dit : no sir, no sir

T'es tombé du côté des nantis, des menteurs

Dans ta poitrine j'entends le battement d'un compteur

Il faut pas que tu comptes sur moi

Elle a dit : no sir, no sir

La vie a fait de toi un dandy, un rouleur

T'avances comme au volant d'un cargo, d'un croiseur

J'aime pas comme tu claques des doigts

Hey, elle a dit : no sir


10-Tôt ou tard s'en aller

Tôt ou tard s'en aller

Par les ruisseaux devant nous

Jusqu'au milieu d'une mer quelconque

Sur le pont brisé d'une jonque

On va tôt ou tard s'en aller

Quelques vestes froissées

Quelques cartons en morceaux

Dans les brouillards huileux de la nuit

Juste nos corps frileux endormis

Sur quelques vestes froissées

J'avais des rêves pourtant

J'avais des rêves

J'avais des rêves pourtant

Voir les trains s'éloigner

Les plafonds chargés de bijoux

Et tous ces gens attablés, heureux

Et nous, sur les bas-côtés, fiévreux

De voir les trains s'éloigner

Quelquefois les enfants demandent

Comment fait-on pour finir ici

Sans doute, je dormais sur une feuille,

Et l'automne m'a surpris !

J'avais des rêves pourtant

J'avais des rêves

J'avais des rêves pourtant

Mais tôt ou tard s'en aller

Par les ruisseaux devant nous

Jusqu'au milieu d'une mer quelconque

Sur le pont brisé d'une jonque

On va tôt ou tard s'en aller

Tôt ou tard s'en aller

Tôt ou tard s'en aller


Pour m'envoyer des paroles et photos envoyez moi un e-mail : bartbene@chez.com

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