Francis CABREL
"Hors Saison"

1-Le monde est sourd
2-Cent ans de plus
3-Presque rien
4-Le reste du temps
5-Rien de nouveau
6-Loin devant
7-Depuis toujours
8-Comme eux
9-Hell Nep Avenue
10-Hors Saison
11-La belle Debbie
12-Madame X

1-Le monde est sourd

Pendant qu'on se promène

L'enfant pour cinq francs la semaine

vient broder des survêts

Pour l'homme blanc qui golfe en voiturette

Sale temps sur la planète

Oh le drôle, le drôle de temps

Porter secours c'est défendu

Le monde autour est sourd, bien entendu

Chercheur contre nature

Truqueur, sur l'honneur qui jure

Faut pas que ça vous inquiète

J'ai bien connu l'animal mort dans votre assiette

Sale temps sur la planète

Oh le drôle, le drôle de temps

Porter secours c'est défendu

Le monde autour est sourd, bien entendu

Tricheur à la tribune

Menteur amassant la fortune

Grimpeur dans la tempête

Rien que des doses d'eau claire au fond de la musette

Sale temps sur la planète

Oh le drôle, le drôle de temps

Pas de témoin une fois de plus

Le monde autour est sourd, bien entendu

Cendrillon tombée d'un coin du Sahel

Perdue

Sur un bout de papier me lance un appel

Et dessus

Elle dit "c'est où exactement

C'est où exactement la Tour de Babel"

Monsieur sort de l'église

Heureux que les hommes fraternisent

Son fils qui lui fait la tête

Et lui qui court acheter le fusil et les fléchettes

Sale temps sur la planète

Oh le drôle, le drôle de temps

Porter secours c'est défendu

Le monde autour est sourd, bien entendu

Pendant qu'on se promène

L'enfant pour cinq francs la semaine

Chercheur contre nature

Bien caché derrière sa devanture

Tricheur à la tribune

Et nous, tous les applaudir

Comme la lune

Comme la lune...


2-Cent ans de plus

Cent ans dans la peau de l'esclave

Et juste après cent ans de plus

Chercher des miettes sous les tables

Avant que les blancs ne marchent dessus

Dormir sur des paquets de planches

Chanter seulement le dimanche

Tu vois la femme noire

Dans le rôle de la bonne

Avec tout à côté

Tout tordu son bonhomme

Après ça faut pas que tu t'étonnes

C'est Eux qui ont fait

Eux qui ont fait

Son House et Charlie Patton

Howlin' Wolf et Blind Lemon

Bien rouge le sang de l'Afrique

Sur la jolie fleur du coton

La toute nouvelle Amérique

La belle démocratie "Welcome"

Bateaux déportant les villages

Au bout de l'immense voyage

Gravé dans la mémoire

Pour des années-lumière

Chaque larme d'ivoire

Chaque collier de fer

Après ça faut pas que tu t'étonnes

C'est Eux qui ont fait

Eux qui ont fait

Son House et Charlie Patton

Howlin' Wolf et Blind Lemon

Toujours plaire aux marchands de fantômes

Elle qu'on achète et lui que l'on donne

Naître avec la peine maximum

Toujours vivant dans ce que nous sommes

Peuple interdit du reste des hommes

Cherchant le bleu de l'ancien royaume

Eux qui ont fait faut pas que ça t'étonnes

Son House et Charlie Patton

Blind Blake et Willie Dixon

Ma Rainey et Robert Johnson

Howlin' Wolf et Blind Lemon...

Son House et Charlie Patton


3-Presque rien

Et voilà tout ce que je sais faire

Du vent dans des coffres en bambou

Des pans de ciel pour mettre à tes paupières

Et d'autres pour pendre à ton cou

C'est rien que du ciel ordinaire

Du bleu comme on en voit partout

Mais j'y ai mis tout mon savoir-faire

Et toute notre histoire en-dessous

Tu vois, c'est presque rien

C'est tellement peu

C'est comme du verre, c'est à peine mieux

Tu vois c'est presque rien...

C'est comme un rêve, comme un jeu

Des pensées prises dans des perles d'eau claire

Je t'envoie des journées entières

Des chats posés sur les genoux

Des murs couverts de fleurs que tu préfères

Et de la lumière surtout

Rien que des musiques légères

Une source entre deux cailloux

Du linge blanc sur tes années de guerre

C'est tout ce que je sais faire c'est tout...

Tu vois, c'est presque rien…

C'est tellement peu

C'est comme du verre, c'est à peine mieux

Tu vois c'est presque rien…

C'est comme un rêve, comme un jeu

Des pensées prises dans des perles d'eau claire

Doo doo doo doo doo...


4-Le reste du temps

Et si on dormait sous les arbres

Le reste du temps

Deux amants posés sur des hardes

Deux débutants

En dessous des cieux qui lézardent

Juste en faire autant...

Mieux que tous les palais de marbre

L'or des sultans

Quelques branchages qui nous gardent

Des mauvais vents

Je ferai tout ce qu'il te tarde

L'homme ou l'enfant

Dans nos jardins dérangés

Tellement de fleurs allongées, tellement

Sous la lumière orangée

Longtemps nos corps mélangés, longtemps

Rien qui mérite qu'on en parle

Rien d'inquiétant

Un miroir pour que tu te fardes

Je t'aime pourtant

Plus personne ne nous regarde

Ni ne nous entend...

Dans nos jardins dérangés

Tellement de fleurs allongées, tellement

Sous la lumière orangée

Longtemps nos corps mélangés, longtemps

Pendant que le monde bavarde

A rien d'important

On pourrait dormir sous les arbres

Le reste du temps...


5-Rien de nouveau

Elle passe

Sans le regarder, elle passe

Lui ça lui glace le dos

Elle est exactement tout ce qu'il lui faut...

Il lui faut

 

Elle laisse

Sans même y penser, elle laisse

Traîner comme un lasso

Quelques parfums où il vient se prendre aussitôt

Aussitôt

 

Il bloque

Les yeux comme des hublots

Et le coeur au-delà du tempo

 

Il fonce

Il part droit sur elle, il fonce

Comme un lanceur de marteau

Après il jongle avec des cercles et des flambeaux

Des flambeaux

 

Il parle

Jusqu'à l'asphyxier

Il parle comme Gable à Garbo

Il prend des poses

Comme les danseurs de tango... de tango

 

Il bloque

Les yeux comme des hublots

En fait... en fait il en fait trop !

 

Y'a soixante-cinq millions d'années

Par un soleil comme aujourd'hui

Un de nos grands-parents faisait

Le beau pour sa nouvelle amie

 

Et lui il reste

Il reste comme collé au carreau

Il dit qu'il l'aime en somme

Et c'est rien de nouveau... rien de nouveau

 

Les yeux comme des hublots

Et le coeur au-delà du tempo

 

Y'a soixante-cinq millions d'années

Par un soleil comme aujourd'hui

Un de nos grands-parents faisait

Le beau pour sa nouvelle amie

 

Il reste

Il reste comme collé au carreau

Il dit qu'il l'aime en somme

Et c'est rien de nouveau... rien de nouveau


6-Loin devant

Loin devant

L'horizon encombré

Fais-moi loin devant

Une maison posée

J'entends

Le monde chanter

Sous les arbres penchés

Devant

Il descend

Des lumières dorées

Dessine-nous dedans

Dans des habits légers

J'entends

Les colombes jouer

La paix est bien cachée

Dedans

Simplement

Après tant et tant de brume

On aura les yeux qui s'allument vraiment...

vraiment

Forcément

Sous de vrais croissants de lune

Les enfants pourront rêver autrement...

autrement

Loin devant

L'horizon encombré

Fais-moi loin devant

Un chemin, un sentier

Un ruban

Des tables chargées de pain blanc

Simplement

Après tant et tant de brume

On aura les yeux qui s'allument vraiment...

vraiment

Forcément

Comme on n'aura plus de larmes

On verra enfin le monde autrement...

autrement

Loin devant

L'horizon encombré

Fais-moi loin devant

Une maison posée

Je l'entends...


7-Depuis toujours

Je t'aime depuis toujours

Et je viens seulement te dire

Je t'aime pour longtemps encore

Tes mots de velours

Ta peau jusqu'à en éblouir

Mes yeux de chercheur d'or

Toutes ces nuits d'hiver

Ces longues, longues journées de pluie

J'en entends parler chez les autres

Moi, quel que soit le ciel

T'es mon éternelle éclaircie depuis toujours

Et je viens seulement te dire

Pour longtemps encore

Le monde autour

N'est rien qu'un brumeux souvenir

Rien qu'un lointain décor

Comme sur ces horloges

Les mêmes aiguilles, jour et nuit

S'en retournent l'une vers l'autre

Moi comme tu vois

Je retourne vers celle que j'aime depuis toujours

Pour seulement lui dire

Pour longtemps encore

Même au bout du monde

C'est le même ciel, le même lit

La même chaleur qui m'entoure

Les mêmes parfums

Ceux qui enveloppent mes nuits depuis toujours

Et je viens seulement te dire

Pour longtemps encore

Je retourne vers celle que j'aime

Depuis toujours

Oh je retourne vers celle que j'aime

Depuis toujours...

Depuis toujours


8-Comme eux

Il rêvait de noircir des pages

D'écrire des choses nouvelles

Elle, aurait peint des paysages

Et joué du violoncelle

À s'aimer toujours davantage

Ils ont trouvé naturel

Elle, le cambouis des garages

Lui, les produits de vaiselle

 

Elle posait ses doigts sur la carte

Toujours du côté chaleur

De temps en temps faudra qu'on parte

S'embrasser ailleurs

Elle ne voit pas le temps qui passe

Ils prennent tellement à coeur

Ces fins de semaine sur place

Autour d'un bouquet de fleurs...

 

Jamais de cris, de problèmes

Tout le monde peut voir comme ils s'aiment

Ni double fond, ni double jeu

 

Rien que de la lisse surface

Que du collant double face

Fasse le ciel qu'on soit comme eux

comme eux

 

Ils rêvent d'un chambre tranquille

De quelques jouets au milieu

Qu'importe l'endroit ou le style

Le centre-ville ou la banlieue

De temps en temps faudra qu'on parte

Un jour, il écrira un peu

Elle sait où elle a rangé la carte

Pour les jours où ça ira mieux

 

Jamais de cris, de problèmes

Tout le monde peut voir comme ils s'aiment

Ni double fond, ni double jeu

 

Rien que de la lisse surface

Que du collant double face

Fasse le ciel qu'on soit comme eux

comme eux


9-Hell Nep Avenue

Comme j'arrivais la tête en vrac

Entre ma guitare et mon sac

J'entends, malheureux ne bougez plus

Ne bougez plus

Le prochain pas que vous allez faire

Peut vous mener droit en enfer

Personne ne vous a prévenu

Vous êtes sur Hell nep Avenue

Boulevard des papiers qui s'envolent

Le vent y descend droit du pôle

Ca fait des chansons de travers, de travers

Chanteurs aux épaules tombantes

Pris dans les fougères grimpantes

Encore une averse de plus

Sur Hell nep Avenue

Quelques mesures de silence

À l'heure où l'autobus s'avance

Aucune fille n'en descend, et le blues reprend

On peut voir se creuser les rides

De ceux qui attendent dans le vide

Il n'y a pas de ciel par-dessus

La Hell nep Avenue

Personne ne vous a prévenu

À cette heure-ci elle viendra plus

Il n'y a pas de ciel par-dessus

La Hell nep Avenue

Avenue du blues, boulevard de personne

On y a vu trainer Robert Johnson

Jusqu'au matin grattant la misère, la misère

Il reste un carré de pelouse

Où quelques silhouettes jalouses

Viennent pour fleurir la statue

Vous êtes sur Hell nep Avenue

Tendresse pendue aux pupitres

Rue des fenêtres sans vitres

Combien d'amoureux étendus, étendus

On y a tous chanté une fois

Une fois et puis t'oublies plus

La hell nep Avenue...

Combien d'amoureux étendus

Tellement, tellement de silhouettes perdues

Encore une averse de plus sur la Hell nep Avenue

Personne ne vous a prévenu

À cette heure-ci elle viendra plus

Il n'y a pas de ciel par-dessus la Hell nep Avenue...


10-Hors Saison

C'est le silence

Qui se remarque le plus

Les volets roulants tous descendus

De l'herbe ancienne

Dans les bacs à fleurs

Sur les balcons

On doit être hors-saison

La mer quand même

Dans ses rouleaux continue

Son même thème

Sa chanson vide et têtue

Pour quelques ombres perdues

Sous des capuchons

On doit être hors-saison

Le vent transperce

Ces trop longues avenues

Quelqu'un cherche une adresse inconnue

Et le courrier déborde

Au seuil des pavillons

On doit être hors-saison

Une ville se fâne

Dans les brouillards salés

La colère océane est trop près

Les tourments la condamnent

Aux écrans de fumée

Personne ne s'éloigne du quai

On pourrait tout prendre

Les murs, les jardins, les rues

On pourrait mettre

Aux boites aux lettres nos prénoms dessus

Ou bien peut-être un jour

Les gens reviendront

On doit être hors-saison

La mer quand même

Dans ses rouleaux continue

Son même thème

Sa chanson vide "où es-tu ?"

Tout mon courrier déborde

Au seuil de ton pavillon

On doit être hors-saison...

Une ville se fâne

Dans les brouillards salés

La colère océane est trop près

Les tourments la condamnent

Aux écrans de fumée

Personne ne s'éloigne du quai


11-La belle Debbie

La belle Debbie debout d'un bond

Au tout début me bouda

Puis elle trouva de bon ton

Que je lui dise vous comme à une diva

J'ôtais ses beaux boutons d'habits

Je mis un vieux CD d'ABBA

Alors, elle s'enhardit

Et Dieu soit loué s'amadoua

 

Elle voulu deux doigts de Bourbon

"Merci ça finit mal quand je bois"

Je me suis mis à faire le gibbon

Elle se tordait comme le boa

Je lui récitais ma leçon

Doux comme un ourson venu pour ça

Puis-je votre peau de bonbon

L'effleurer comme une tumba ?

 

Et j'ajoute pour être tout à fait juste

Ces miroirs où elle se projette

Ces rires auxquels elle est sujette

Et ses jolies mains qui s'agitent

Oh j'ajoute...

 

Je lui récitais du Rimbaud

Elle disait peut-on tomber plus bas

Elle borda ses yeux de charbon

Pour me tendre un bâton de Cuba

Les liqueurs, nous les avons bues

Quand il n'est plus resté de tabac

Elle m'avoua, je revis

Désirez-vous que l'on se revoie ?

 

Et j'ajoute pour être tout à fait juste

Ces miroirs où elle se projette

Ces rires auxquels elle est sujette

Et ses jolies mains qui s'agitent

 

Et j'ajoute pour être tout à fait juste

Ces moments salés où elle me laissa

Ces secrets qu'elle me consacra

Ces formes où je m'étais ancré

Ces cris...

Quand son mari entra


12-Madame X

Madame X et ses enfants

Tout l'hiver sans chauffage

Caravane pour des gens

Même pas du voyage

Et pourtant comme elle dit

C'est pas elle la plus mal lotie

Elle en connaît qui couche dehors

Dans les parages

Quand y'a toutes ces voitures de sport

Dans les garages

 

Madame à savoir comment

Fait deux fois plus que son âge

Elle s'endort avec des gants

Au fond d'un sac de couchage

Et pourtant comme elle dit

C'est pas elle la plus mal lotie

Elle en connaît qui restent

Accrochés aux grillages

En espérant qu'un camion

manque le virage

 

C'était un pays charmant

C'était un pays comme il faut

Elle dit, elle dit maintenant

maintenant on prend

Quelques photos des mourants

Au lieu de leur donner de l'eau

Elle dit pas ça méchamment

Pour l'instant...

 

Madame X et ses enfants

Toujours pas de chauffage


Pour m'envoyer des paroles et photos envoyez moi un e-mail :
bartbene@chez.com

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